Tribune de Damien Verdier – « Services : Sortir du « low-cost » pour entrer dans le monde d’après »
C’est une certitude désormais : le marché de l’emploi va connaître dans les mois à venir un bouleversement sans précédent. L’Unedic anticipe la destruction de 900 000 postes d’ici à la fin de l’année 2020. Nul doute que les secteurs de services seront touchés par cette réduction massive, et qu’à ce rythme-là, la principale source de création d’emplois et d’intégration sociale en France, à savoir nos métiers, rempliront plus difficilement leur fonction d’ascenseur social.
Rappelons simplement que, sur les 740 000 emplois nets créés depuis 2017, plus de 75 % l’ont été par les services marchands. Tous nos secteurs sont acteurs des transformations à l’œuvre dans nos économies et nos sociétés. Ils sont au cœur du nouveau modèle de croissance alliant responsabilité sociale, transition écologique et révolution numérique. Il est urgent de le reconnaître et de porter l’ensemble de ces sujets au niveau d’une réflexion politique globale comme le font déjà plusieurs grands pays dans le monde.
Trop souvent considérés comme contribuant à la seule « compétitivité coûts » de leurs clients, nombre de secteurs de services subissent, année après année, une dévalorisation de leurs prestations et donc de leurs métiers. La politique du « moins-disant » tarifaire leur nuit profondément.
Et pour des entreprises de services dont la masse salariale est de loin le premier poste dans leur chiffre d’affaires, 20 années de culture de « low cost » ont, dans de très nombreux secteurs, impacté les efforts réalisés en matière d’investissements dans le capital humain, c’est-à-dire la progression des grilles salariales, les conditions d’emploi des collaborateurs, les trajectoires professionnelles – et plus largement la cohésion sociale de notre pays.
Beaucoup en conviennent : cette culture du « low-cost » a fragilisé les entreprises de nos secteurs. Il est temps, aujourd’hui, de renoncer à un modèle qui a atteint ses limites. Nous en sommes persuadés : il en va de notre capacité à maintenir la performance de nos entreprises, à mobiliser nos énergies et à construire, avec nos salariés et nos clients, une économie de services plus durable.
Bref, il nous faut évoluer vers un modèle plus vertueux et plus responsable. Ce qui signifie considérer les prestataires de services comme des partenaires contribuant à créer de la valeur et à améliorer la compétitivité « hors coût » de leurs clients. De nombreuses entreprises de services sont prêtes à s’engager, dans le cadre de prestations réinventées, à répondre aux enjeux sociaux, économiques et environnementaux de leurs clients privés et donneurs d’ordres publics. Car acheter des services au juste prix, c’est à la fois respecter l’humain et l’environnement.
En abandonnant la politique du « moins-disant tarifaire », en reconnaissant la valeur de la relation humaine, en l’associant intelligemment à l’innovation numérique, une montée en gamme des prestations de services est possible.
Nous, entreprises de services sommes prêtes à nous engager dans cette démarche de revalorisation via la formation professionnelle, la revalorisation des métiers, l’investissement dans l’innovation. Mais cette valorisation ne peut être de la seule responsabilité des entreprises prestataires de services. Elle concerne également les clients – entreprises, particuliers ou collectivités publiques – qui, par l’achat de prestations au juste prix, doivent contribuer à la rendre possible.
Aussi, le Groupement des Professions de Services (GPS) que je préside est-il prêt à lancer, avec l’ensemble des parties-prenantes, acteurs publics et privés, une conférence sur les services qui définira les voies possibles d’une meilleure valorisation, seule capable de donner à nos entreprises, comme à nos salariés, le nouveau souffle qu’ils attendent.
Pourquoi maintenant ? Parce qu’avec la crise sanitaire, le monde des services vient de faire irruption dans le champ de conscience de nombre de nos concitoyens et de nos dirigeants. Cette crise a mis en relief des maillons essentiels qui ont permis à notre société de tenir et à notre économie de ne pas s’effondrer. Les entreprises de services et leurs salariés ont assumé l’approvisionnement du pays, le bionettoyage des établissements de santé, le ramassage des déchets, la sécurisation des sites, la restauration et les soins aux personnes fragiles, la mise à disposition des ressources de travail, d’éducation et de formation à distance, le financement des entreprises, … Les salariés de nos entreprises ont prouvé, et prouvent encore aujourd’hui, la valeur de leur travail. Sans les professionnels de l’entretien, de la maintenance et de la sécurité, les aides à domicile, les ingénieurs informatiques et numériques, les transporteurs, les employés de restauration, et bien sûr les personnels du secteur public hospitalier comme tous ceux du secteur privé, nous n’aurions pas pu, collectivement, relever le défi du confinement. Et, sans eux, nous ne pourrons relever les défis de l’économie de demain !
N’oublions pas ce qui vient de se passer, et faisons-en sorte de renforcer les entreprises de services, sorties, pour beaucoup, fragilisées de cette crise. Elles sont centrales pour l’emploi, la croissance et la cohésion sociale de nos territoires et de notre pays. Nous ne pouvons plus en rester au stade de l’incantation, il nous faut agir !
Téléchargez la tribune, parue dans Les Échos le 6 juillet 2020