« Quel projet de société voulons-nous pour la France ? » – Interview de Christophe Quesne

Christophe Quesne

À l’occasion des élections présidentielle et législatives, le Groupement des Professions de Services a rédigé un manifeste avec 26 propositions pour la France. Son objectif : alerter les candidats sur l’urgence de définir une véritable politique en faveur des Services, afin d’en faire une économie forte et porteuse de croissance en France. Christophe Quesne, membre du Bureau exécutif du GPS et administrateur de la fédération « Les Acteurs de la compétence » nous apporte son regard sur l’impact des activités de Services pour les Français et dans les territoires. En interpellant les politiques sur une question clé : Quel projet de société voulons-nous pour la France ? 

En tant que membre du Bureau exécutif du GPS, qu’attendez-vous des candidats aux élections législatives à travers cette campagne ?

Nous attendons des candidats qu’ils considèrent les services avec autant d’attention que l’industrie. Naturellement, nous avons de fleurons de l’industrie en France dont nous pouvons être fiers ! Pour autant, notre économie doit reposer sur une dynamique commune entre les services et l’industrie : les deux secteurs ont besoin l’un de l’autre pour se développer.

Le monde des services souffre d’un manque cruel de reconnaissance. La crise sanitaire a mis en évidence le rôle-clé joué par les acteurs de « première ligne » dans la gestion de la crise, à savoir les métiers de la santé, de la propreté, du commerce…  Mais cette considération d’un temps n’a pas été suivie d’une véritable reconnaissance de la valeur intrinsèque de ces métiers et du manque de moyens à disposition des entreprises pour améliorer les salaires ou les conditions de travail.

La question que nous posons aux candidats est simple : « Quel projet de société voulez-vous pour la France ? » Si le lien humain et la relation aux autres ont une quelconque importance dans leur projet, alors l’économie des services a une vraie valeur à apporter à la France !

Quel est le principal problème que vous pointez ?

Il y a une méconnaissance totale des spécificités des métiers de services. Les grands donneurs d’ordre, dans le cadre des appels d’offres, considèrent les prestataires de services uniquement comme des fournisseurs d’opérations techniques, ce qui en minimise la valeur. Mais il est illusoire de penser que le lien humain se résume à une suite de gestes techniques !

Prenons un exemple : comment une famille apprécie-t-elle la valeur d’une assistante maternelle à domicile qui s’occupe des enfants ? Est-ce simplement dans le fait de respecter les horaires et remplir les tâches définies sur le papier ? Ou bien est-ce davantage : la confiance, les moments partagés, le lien affectif avec les enfants… ?

Dès lors, la rémunération et les conditions de travail des métiers de service doivent prendre en compte ces spécificités. Il faut créer un nouveau référentiel pour apprécier la valeur des prestations de service. Je défends pour cela la notion de compétences relationnelles et humaines, ou de savoir-être. Cela doit être le socle de la réflexion.

Comment expliquez-vous le manque d’intérêt des politiques pour les services alors même qu’ils représentent, depuis 2017, 
70 % des créations nettes d’emplois ?

Une de nos difficultés est qu’à la différence du secteur de l’industrie, l’économie de services est invisible ! Nous ne produisons pas des éléments physiques, palpables, concrets, comme des avions, des trains, des machines…  De plus, nos sociétés de services sont des entreprises dont l’activité est diffuse sur le territoire : elles sont à la fois présentes partout mais impalpables.

Ceci explique que nous nous identifions moins facilement aux belles réussites de nos entreprises de services. Qui s’est ému du fait que Sodexo ait gagné un appel d’offres pour la restauration des garnisons des corps des Marines sur tout le territoire américain ?

Face aux nombreuses tensions sociales en France, qu’est-ce que les activités de service peuvent apporter à la société française ?

Les activités de service participent à enrichir le lien humain. Une auxiliaire de vie qui intervient chez une personne âgée assure le soin et les repas de la personne, mais en réalité elle fait bien davantage, elle est une présence, une occasion d’échanges, et donc elle entretient la relation humaine.

Elles sont également un moteur d’inclusion et de cohésion sociale très fort, en proposant des emplois pour toutes les classes d’âge et toutes les qualifications. La formation en alternance et l’accompagnement vers l’emploi participent à l’intégration de populations peu qualifiées, peu diplômées, éloignées du marché du travail. Nombre de centres de formation en apprentissage (CFA) se développent dans les territoires.

Elles sont aussi un vecteur d’ascenseur social, grâce à des dispositifs de montée en compétences des collaborateurs. McDonald’s France par exemple va proposer d’ici à 2024 des parcours d’alternance à 3500 jeunes dans l’ensemble de ses 1500 restaurants, à travers un programme spécifique défini en partenariat avec le réseau des CCI. L’enseigne accueille chaque année plus de 5500 salariés dans son centre de Guyancourt pour développer leurs compétences et les faire évoluer dans le groupe.

Les exemples sont nombreux !

Que faudrait-il faire en priorité pour accroître cet impact ?

Comme je le disais, il faut apprécier autrement la valeur des services, avec un regard qui ne soit pas « technique » mais « humain » : ceci implique de reconsidérer la valeur de ces prestations. Et parallèlement, encourager la culture de la compétence. Les compétences relationnelles doivent être identifiées et valorisées comme des compétences à part entière. Cela permettra de mesurer et donc mieux reconnaître la valeur à la fois matérielle et immatérielle des métiers de service.

Cette notion de compétences permettra également de faciliter les transitions professionnelles d’un métier à l’autre dans les services : il est aujourd’hui très difficile pour un agent d’accueil en restaurant de devenir aide à domicile alors même que cela fait appel à des compétences similaires (sens de l’accueil, écoute, empathie…)

C’est en partie à nous en tant qu’acteur de services d’éduquer nos clients en ce sens. Mais c’est aussi aux politiques de nous soutenir et d’avoir un discours positif sur la valeur de nos métiers !

Vous êtes également administrateur de la fédération « Les Acteurs de la compétence ». Quelles actions menez-vous en faveur de l’ascenseur social, de l’accès à la formation, du développement des compétences… ?

Une de nos actions fortes est de faire de la compétence une cause nationale du prochain quinquennat ! Dans le cadre des élections présidentielles, nous avons interrogé les représentants des candidats sur leur vision de la compétence.  Nous avons également créé un observatoire de la compétence pour développer la connaissance sur le sujet avec des chiffres, des podcasts, des articles, des liens vers des sources documentaires existantes…

Une de nos contributions a été de pousser les pouvoirs publics à ce que le CPF (Compte Personnel de Formation) soit simplifié, ce qui a permis à des centaines de milliers de personnes de se former en plus chaque année. Une belle avancée pour faciliter le développement des compétences, et donc la revalorisation des métiers de services.

Consultez notre manifeste « L’économie des services, une force pour la France – Nos 26 propositions ».